Pourquoi cela vaut le coup de traverser les trous noirs ?
- Cécile Magne
- 26 oct. 2021
- 9 min de lecture
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Mon fils m’a dit un jour « tu es ma maman licorne magique, tu es la meilleure maman du monde, tu enlèves tous les chagrins, et en plus c’est ton métier, tu enlèves les chagrins des gens».
Outre le fait que cette simple phrase vaut toutes les douleurs d’un accouchement, les tracas de la maternité, et même l’accompagnement aux devoirs scolaires (bon, non, peut-être pas pour les devoirs ;-)), son amour de fils a malheureusement tort sur la partie professionnelle.
Lorsque je lui ai répondu que je n’enlevais pas les chagrins des gens mais que je les aidais juste à les traverser, il m’a répondu « c’est vraiment un métier bizarre alors, comment ça se traverse un chagrin ? Et tu les traverses avec eux en plus ? Je préfère faire inventeur astrophysicien, c’est plus fun ! »
Il a bien raison Et pourtant, et si, au fond, il s’agissait (presque) du même métier ?
Et si pour traverser les trous noirs de la souffrance, les explorateurs de l’espace avaient trouvé un mode d’emploi qui vaut bien ceux que les psys s’échinent à théoriser et à expliquer ?
La souffrance : l’origine du monde ?
Pourquoi souffre-t-on ? Des millions d’œuvres d’art, de chansons, de films, de livres de philosophie, de littérature et de psychologie sont nées de cette question. Rien que pour ces trésors-là, nous pouvons déjà remercier la souffrance d’exister.
Quel que soit l’angle sous laquelle on se pose cette question, on finit par arriver à ce constat qui tient de la Lapalissade : la souffrance est inhérente à la condition humaine. Il y a bien sûr des degrés et des contextes différents. Et nous verrons d’ailleurs plus loin en quoi mettre une échelle dans la sévérité de la souffrance est parfois un piège pour la nier ou la renier, et souffrir encore davantage. La question du pourquoi nous sera-t-elle utile pour comprendre comment on la traverse ? Pas sur…
Et si on se demandait-il plutôt : quand souffre-t-on ? Quelles sont les conditions d’émergence d’une souffrance ? Y aurait-il un point commun de départ ?
L’impermanence est en tout, au cœur de la condition humaine mais aussi au cœur de notre monde. Tout change, tout bouge, à la fois en chacun de nous et autour de nous. L’intelligence humaine serait cette merveilleuse capacité à s’adapter du mieux possible. Ça marche souvent et souvent aussi ça rate et c’est bien normal. Car l’impermanence c’est aussi l’incertitude, l’inconnu, et quelle que soit la taille de notre magnifique cortex d’homo sapiens, il n’est pas possible de traiter en conscience une telle quantité d’informations.
Alors l’être humain s’invente des certitudes, des objectifs, des routines, des habitudes, de belles stratégies mentales de contrôle de l’incontrôlable. Tant que tout cela reste au service de la vie qui coule en lui, c’est merveilleux. Mais parfois, à force de mettre de multiples barrages sur le cours d’une rivière, l’eau de la vie se fige. Quelque chose s’immobilise, se coince, les mécanismes de contrôles se grippent, s’agrippent entre eux, se multiplient. Au lieu de lever des barrages, on en rajoute. Et si c’était là que naissait la souffrance ? La souffrance de l’immobilisme, alors que, par nature, nous serions tous et toutes des explorateurs.
Pour illustrer cela, je vous emmène en voyage, et pas n’importe quel voyage. Partons dans les étoiles avec ce chef d’œuvre du cinéma qu’est « Interstellar » de Christopher Nolan.

Voici une petite bande annonce pour vous mettre dans l’ambiance :
« C’est comme si on avait oublié qui on était. Des explorateurs, des pionniers, pas des agents de gardiennage… Avant, en levant les yeux, on s’interrogeait sur notre place parmi les étoiles. Là on baisse les yeux, inquiets de notre place dans la poussière. »
Cooper, le héros du film nous parle ici de la survie de l’espèce humaine, et de sa tristesse de la voir uniquement préoccupée par sa survie… Prenons-le au mot et appliquons-le à nous. Et si c’était cela le signe que la souffrance s’enkyste en soi ?
Il y a deux façons d’arrêter d’explorer : l’être humain est, comme tous les mammifères, un explorateur de son environnement. Peu importe que ce soit à l’autre bout de l’univers ou au coin de la rue. Mais à la différence des autres mammifères, il a truc en plus : les symboles, les rêves, les étoiles…
On peut donc cesser d’explorer autour de soi, ne pas oser traverser les trous de ver, et cesser d’explorer ce qui compte pour soi en résistant à l’aspiration gravitationnelle des trous noirs. Pas très clair n’est-ce pas ? Alors allons-y, je vous emmène.
La traversée du trou de ver ou la magie d’explorer l’inconnu

Dans le film, nul espoir pour l’humanité de survivre ni sur terre, ni même dans le système solaire. Seule solution : traverser un trou de ver, objet physique théorique à ce jour, composé d’un trou noir à son entrée et d’une fontaine blanche à sa sortie, permettant de plier l’espace-temps et d’accéder à un autre univers.
Je vous ai perdus ? Ce n’est pas grave, parce que sans tout comprendre (et je ne comprends pas tout non plus, je vous rassure), observez ce que ces mots appartenant au lexique de l’aventure et de la découverte provoquent en vous. Ecoutez cette part en vous de l’explorateur… C’est cool, non ?
Revenons à nos moutons : la terre, autrefois nourricière, condamne l’humanité à mourir de faim ou d’asphyxie. Pourtant la quasi-totalité de l’humanité veut se maintenir dans cette suradaptation à ce contexte autrefois si bienfaisant.
Ecoutons ce dialogue entre Cooper, notre explorateur, et son beau-père qui va s'employer à décourager Cooper de ses désirs d'exploration.
- Ce monde ne t’a jamais suffi n’est-ce pas ?
- Parce que je me sens fait pour aller là-haut ? Que ça m’exalte. Y a pas de mal à ça.
Peut-être que la première question à se poser quand on souffre est celle de notre adaptation ou de notre suradaptation à notre contexte, à notre environnement.
Est-ce que je suis vraiment à ma place aujourd’hui, c’est-à-dire en capacité de nourrir mes besoins, d’explorer mes désirs et mes rêves, dans mon travail, dans mon couple, dans ma famille, dans mon logement, avec mes amis ?
Dans le film, la terre, autrefois nourrissante, luxuriante, parfait écrin d’épanouissement est devenue aride, sèche, mortifère. Il en est parfois de même pour nos propres contextes : ce qui nous a nourri un jour ne nous nourrit pas forcément toujours. Ce monde qui nous a suffi un jour peut cesser de nous suffire. La faute à l’impermanence, à l’imprévu, à l’inattendu, à la vie. La faute ou la chance ?
Si vous avez tout fait pour améliorer le contexte existant mais que la souffrance perdure, c’est peut-être qu’il est temps de changer d’univers, de tracer sa route vers l’inconnu. Et là, ça fait peur, très peur. Et puis il faudra faire le deuil de ce qui s’achève… Mais comme le disait Romain Gary, « Il est moins grave de perdre que de se perdre ». Votre tête vous parlera sans doute comme le beau-père de Cooper, ainsi qu’une partie de votre entourage ;-)
N’attendons pas de mourir à nous-même dans un environnement devenu toxique.
Les étoiles nous attendent.
Alors pourquoi ça vaut le coup ?
Un nouvel extrait pour le plaisir de vivre avec nos astronautes la traversée du trou de ver. Celle-ci est en anglais mais peu importe, les images parlent d’elles-mêmes. On lit la peur sur le visage des aventuriers mais aussi leur émerveillement devant la magnificence de l’inconnu et de la nouveauté.
Plus rien ne ressemble au monde connu, tout est sens dessus dessous, l’un des comparses de Cooper lui dit alors :
« Tes commandes ne répondront pas. On traverse le bulk, espace au-delà de nos trois dimensions. On ne peut que noter et observer. »
Je vous passe la définition du bulk, parce que mes connaissances en astrophysique sont limitées et que je dirais des bêtises, mais surtout parce que ce n’est pas très important.
Envisageons donc simplement l’idée que la traversée d’une telle expérience est toujours nouvelle et toujours inconnue, comme ce mot très bizarre. Et nos commandes ou, dit autrement nos vélléités de contrôle, en effet, ne répondent pas. On est au-delà de nos trois dimensions, et au-delà de toute maitrise.
On ne peut que noter et observer ce qui se passe en soi, dans l’expérience de notre corps, de nos sensations, laisser faire, se laisser porter… Et on sort dans un autre endroit de la galaxie. Car une porte s’ouvre toujours après une telle traversée. L’aventure continue, du nouveau apparait.
Et… surprise, on est plus vivant que jamais ! Vraiment vivant, tellement plus vivant :-)
La traversée du trou noir ou le trésor symbolique caché

Les trous noirs, contrairement aux trous de ver, ne sont pas des objets physiques théoriques mais des phénomènes observables. Et ça tombe bien, car vous et moi, en avons tous déjà traversés. Mais rappelons-nous que ce que nous cherchons ici à éclaircir pour que je puisse répondre à mon fils, c’est : comment on fait ?
Les astrophysiciens vous diront qu’il serait impossible de survivre à l’aspiration d’un trou noir, nous serions écrabouillés, explosés, fragmentés par la gravité… Filons la métaphore : comment réagissons-nous lorsque l’on sent poindre la souffrance, lorsqu’on s’approche de l’horizon des évènements de nos douleurs émotionnelles ?
La gravité de nos douleurs émotionnelles vient de celle que leur accorde notre tête.
Bien souvent, notre tête nous parle comme un astrophysicien : on a peur de mourir de tristesse, d’exploser de colère, de finir écrabouillés par l’angoisse… Alors on lutte, et plus on lutte plus l’aspiration s’intensifie.
Nous pouvons déjà reprendre le mode d’emploi donné par les astronautes : on note, on observe, on laisse faire. On note notre peur de souffrir, on observe comment la douleur s’exprime dans nos muscles, dans notre cœur, comment cette sensation s’inscrit temporairement dans notre corps.
L’aspect temporaire est important : notre tête nous dit toujours que cela ne va jamais s’arrêter, que les larmes ne cesseront jamais de couler, bref, qu’on va y rester coincé dans ce fichu trou noir.
Mais en fait, c’est quand on résiste à y aller, quand on reste coincé au bord de son horizon que la souffrance va perdurer. Quand on a trop appris, aussi, qu’on n’avait pas le droit, que les émotions étaient mauvaises ou dangereuses…
Mais au fait, Cooper, pourquoi y va-t-il dans le trou noir et qu’y trouve-t-il ? Il y va par amour et il trouve… l’amour. Cela paraît si simple écrit comme ça, n’est-ce pas ? 5 lettres, un mot.
Nolan nous a bien eu en complexifiant tout cela avec de l’astrophysique. Oui mais… Ce qui parait le plus simple et le plus évident lorsque c’est appréhendé par notre tête et par sa logique, et donc par notre langage, se passe autrement dans notre corps et dans notre cœur.
Et c’est pour cela qu’aucune souffrance, aucune traversée de trou noir, ne peut être niée si elle est présente.
L’un de mes patients me disaient par exemple « mais enfin, c’est juste un chagrin d’amour, je devrais pas me mettre dans un état pareil !» il se martyrisait et se culpabilisait de son chagrin, ce qui l’empêchait justement de faire sa traversée.
Alors, sur le comment on fait, je dirais peut-être aussi à mon fils : ne t’interdis jamais de ressentir, ce que tu ressens existe, te parle de toi et de ce qui compte pour toi. C’est le plus beau des cadeaux.
L’autre nom d’un trou noir, c’est une singularité, et c’est bien toujours la singularité qui se cache en nous, la forme unique et inaltérable que l’amour prend pour soi qui se rencontre dans ces voyages. Ce qui devient magique, à cet endroit-là, c’est qu’on se trouve soi-même.
L’amour pleinement ressenti, quand il est touché au cœur de la singularité, c’est aussi ce qui nous donnera toujours une raison de vivre, de regarder les étoiles et pourquoi pas, comme le Dc Brand dans le film de traverser les galaxies, peut-être pas pour sauver comme elle, l’humanité, mais peut-être pour sauver ce qui fait la nôtre.
Et voici donc la clef du film et de cet article en vidéo :

On dit de l’amour qu’il est aveugle, mais s’il était, au contraire, d’une limpide clairvoyance ? Je vous laisse le découvrir :-)
Conclusion

Ne le dites pas à mon fils mais je ne suis pas une maman licorne magique, et je n’ai pas enlevé son chagrin ce jour-là, je l’ai juste laissé pleurer dans mes bras en lui disant qu’il avait le droit d’être triste. Plus que mon amour pour lui, c’est d’avoir en lui-même contacté son amour pour moi qui l’a aidé.
Plus que l’amour que l’on reçoit, c’est celui que l’on éprouve qui guérit.
L’amour est toujours, en fait, une force d’exploration, capable de traverser tous les univers.
Tout ce que j’espère pour mes enfants, c’est qu’ils seront, plus tard, capable de le faire pour eux-mêmes, quand je ne serais pas là, quand je ne serais plus là.
Je l’espère pour eux et pour tous ceux que j'aime, et en tant que psy, je l’espère aussi pour mes patients.
Explorer le monde, explorer leur propre cœur, trouver ce qui vaut la peine de vivre.
Et vous, le ferez-vous pour vous .
Si c’est trop difficile seul, prenez un psy explorateur comme compagnon temporaire de voyage, car ça peut aussi s’apprendre de traverser les trous noirs Et rien ne peut rendre plus heureux un psy que de vous voir prêt un jour à explorer la vie et ses trous noirs sans lui ;-)
Cécile
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